« Tout le monde connait la défaite un jour ou l’autre, n’est-ce pas ? » Penché sur une barrière d’un pont, Slevin regardait son reflet dans l’eau avec un air dépité. Quelques heures plus tôt il avait subi sa première défaite et était sorti de l’examen Chuunin dès le premier tour. Son adversaire avait été plus malin, jouant avec le temps le combat s’était terminé avant qu’il n’ait pu répliquer. Il n’était certes pas sorti la tête basse mais depuis ce moment il ne pouvait s’empêcher de méditer sur l’importance d’avoir été vaincu. Son premier réflexe fut de sortir de l’arène, il ne comptait pas regarder le reste des combats, peu lui emportait à vrai dire mais cela ne faisait pas parti de ses urgences, à vrai dire, d’urgences, il n’en avait pas. Il arpenta longuement les rues d’Ame no Kuni sans faire attention au lieu physique qui l’entourait. Dans sa propre vision de l’instant présent il lui semblait marcher sur un chemin entouré de fresques bien trop floues pour être intéressantes. La réaction à la défaite était plus qu’exagérée et il ne le niait guère, toutefois, qui n’avait pas un goût amer dans la bouche après avoir été disqualifié d’un examen aussi important ? Mis à part un idiot ou un fou, bien entendu.

Ses habits étaient encore salis par la poussière du lieu de combat et il ne ressentait aucune fatigue dans son corps, il avait encore son plein potentiel physique, le combat avait été étonnamment court. Ce ne fut qu’après un bon quart d’heure d’égarement qu’il remarqua enfin qu’il se trouvait dans une rue bondée, du moins à Ame il s’agissait de plus d’une dizaine de passants. Tout était silencieux et calme dans le village, étrangement cette sérénité qui aurait calmé toute personne n’affectait pas le jeune genin qui préféra s’éloigner pour trouver un coin, ironiquement, plus tranquille. Les nuages gris qui surplombaient le pays en permanence commençaient déjà à grogner, un orage se préparait et, étant donné la position géographique, un déluge semblait plus probable. Il se faufila au travers les ruelles du village aussi terne qu’une vieille photo et trouva le petit pont entre deux jardins. Il s’y effondra presque, pesant tout son corps sur la barrière, plongeant son regard dans l’eau profonde cherchant à se perdre volontairement dans ses pensées. Cette défaite laissait penser qu’une réflexion s’imposait d’elle-même, était-il à la hauteur de ses propres espérances ? Avait-il vraiment le moyen de voler entre les éclairs comme il l’avait toujours voulu alors qu’il venait d’échouer pitoyablement face au premier obstacle. Après tout, ne fallait-il pas que cette défaite remette en cause tout ce dont à quoi il croyait pour pouvoir combler cette illusion. Un sourire naquit sur le visage non pas triste mais préoccupé de Slevin, chaque raisonnement qu’il faisait l’entrainait encore plus loin et il se perdait lui-même dans les incessants méandres de son esprit. Chacun avait un moyen spécifique de se calmer, il s’agissait du sien. Et puis, mis à part les plaintes exécrables de son esprit combatif il s’agissait d’une réflexion plutôt bienfaisante pour son esprit d’analyse.

Ne disons pas, tomber pour mieux se relever ? Etait-ce ainsi qu’il devait interpréter la défaite de ce jour ? Très certainement pour ne pas tomber dans l’exaspération et l’anéantissement total de motivation. Le temps semblait avoir disparu et chaque seconde paraissait s’éterniser, l’atmosphère était de plus en plus lourde à force que les nuages se chargeaient. Ce ne fut qu’au dernier moment qu’il ressentit la présence chaleureuse qui frémissait derrière lui. Tian vint littéralement s’écraser contre la barrière, le dragon à la couleur bleutée s’enroula presque autour de la tige de métal, un air bienheureux trainait sur son museau aux longues moustaches blanches. Pour simple bonjour il lâcha une flammèche électrique de sa bouche. Sans sourire Slevin poussa la créature par-dessus bord qui plongea dans l’eau. Quelques minutes plus tard, le dragon dégoulinant remontait jusqu’au blondinet. « Idiot. » lâcha-t-il simplement. Le genin ne lui adressa pas un regard. « Tu n’étais pas là aujourd’hui. » Le petit dragon secoua la tête. « Très observateur stupide humain. » Slevin n’eut pas plus de réaction mais souffla assez bas pour que le son soit presque inaudible. « J’ai perdu. » La bestiole grogna puis s’envola pour venir se poser sur les épaules de l’humain, s’enroulant autour de lui il positionna sa tête sur sa nuque. Slevin lui raconta le combat ainsi que la défaite qu’il avait subi quelques heures plus tôt. Tian était le teimai de Slevin, le clan Aïki était ancien mais il ne s’était jamais fait remarqué, restant tout simplement là où était sa place, alors que d’autres se représentaient les dragons comme des légendes les membres du clan, eux les côtoyaient. Chaque teimai choisissait son binôme à la naissance, Slevin avait été choisi alors qu’il n’avait que sept ans, il ne changea de nom qu’à partir de l’âge de douze ans, abandonnant le sien pour celui des Aïki. Tian était la représentation de son aîné, gardien céleste qui vivait au travers les éclairs, expliquant ainsi le rêve du jeune homme.

« T’apitoyer sur ton sort ne servira à rien.. » conclut Tian enchainant ensuite par un long bâillement. « Peut-être que je ne suis pas fait pour ça. » Le dragon saphir grogna. « Si ce n’était pas le cas, je ne t’aurais pas choisi. » « Ne fais pas comme si tu avais eu le choix bestiole. Le cycle infernal des ninjas se perpétuent depuis des siècles sans être perturbé, tous les pays se fient à eux, ce sont eux les rois, ce sont nous. Sans changements ce monde tire vers sa fin, c’est pour ça que je veux grimper au ciel pour éclairer ma propre lanterne. » « C’est trop philosophique ce que tu dis là.. » Une première goutta tomba sur le museau de Tian qui frémit au contact de l’eau. Le déluge suivit directement, un rideau d’eau s’effondra sur les deux compagnons sur le pont. Ils se retrouvèrent rapidement complètement trempés, les cheveux blonds de Slevin d’habitude en bataille s’étaient baissés et des gouttes d’eau perlaient au bout de chaque mèche. « J’ai réfléchi.. » « Etonnant, ne te fais pas trop de mal quand même hein. » Slevin sourit. « On ne sera pas toujours des ninjas de Konoha, bienveillant, œuvrant pour le bien du peuple, je ne cherche pas à être un instrument toute ma vie.. celle-ci m’a doté d’une incroyable opportunité, toi. Il faut l’exploiter au maximum de ses possibilités. » Tian releva la tête, le binôme n’était pas du tout affecté par le déluge. « Et que fais-tu de tes sentiments ? » Le genin, enroula un peu plus la queue du dragon autour de lui et bougea pour continuer sa route. « Rien n’est vrai… »

« Lorsque viendra le temps nous n’aurons plus le choix alors. » La pluie battante couvrait n’importe quel bruit et Tian devait lui parler à l’oreille pour qu’il entende le son de son voix. Slevin hocha la tête. « Nous ferons ce qui doit être fait, pour nous. » Le jeune homme regardait toujours l’eau toutefois il n’y voyait plus son reflet paisible mais des dizaines de perturbations troublant la sérénité du petit court d’eau, comme son esprit. Les dernières résolutions que venaient de prendre le binôme clarifiait énormément de choses, combattre pour un village était une chose, source de vie pour certains fanatiques, eux ne voyaient pas les choses de cette façon. En étant de simples soldats inconscients qui allaient combattre sans en savoir les raisons, ils n’estimaient pas qu’il s’agisse d’une bonne solution. Toutefois il fallait bien avouer que Konoha était leur foyer, ils avaient débuté là-bas, ils n’étaient pas des personnes dénuées de sentiments et avaient des liens avec d’autres genins voire même des villageois ou des gens de l’âge de Slevin. Comme à chaque examen les tensions entre les villages se ravivaient à force que les combats s’enchainaient, tout était possible, et malgré les efforts des Kages et des gens honnêtes pour maintenir la paix un jour ou l’autre une nouvelle guerre allait arriver et c’était là qu’ils allaient envoyer presque comme en chair à canon les shinobis s’entretuaient. Mais après tout, n’était-ce pas là leur rôle ? Ne devaient-ils pas défendre leur village et les vertus qu’il représentait en éliminant n’importe quel ennemi qui allait contre ces principes. Tout n’était question que d’idéaux entre les ninjas, certes il y avait déjà eu des conflits pour obtenir tel ou tel objet de grande valeur mais les idées étaient plus meurtrières que n’importe quelle arme. Les morts n’arrivaient pas qu’en temps de guerre, les villages étaient toujours en guerre, c’était pourquoi on avait créé les shinobis. De jeunes gens mourraient, torturés à mort car ils avaient été envoyés chercher des informations dans un autre village. Il n’y avait pas de pitié, seulement de l’endoctrinement. Slevin se rappelait certaines leçons de l’académie où on leur apprenait que les valeurs de Konoha surpassaient celles des autres et que quoiqu’il arrive il fallait les protéger, entre autre il fallait mourir pour elles. Des personnes exemplaires pouvaient prendre ça comme un honneur, lui et Tian pensaient plutôt qu’il s’agissait de folie.

Depuis que le dragon céleste l’avait choisi sa façon de penser avait radicalement changé, autrefois ils étaient comme tous les autres étudiants, inconscient, il n’aspirait qu’à une chose c’était de devenir un ninja pour combattre en brandissant fièrement les couleurs du village du Pays du Feu. Depuis l’arrivée de son compagnon, aucun jour ne passait sans qu’il ne se pose des questions, qu’il ne remette en question tel ou tel acte, était-ce plus nocif que bénéfique ? Tout dépendait des points de vue, et lui-même ne pouvait avoir un avis sur la question car il était le principal intéressé. Il changea radicalement et rapidement, les choses n’étaient pas justes et elles ne le seraient jamais mais il s’était mis en tête qu’un jour peut-être il pourrait œuvrer pour quelque chose qui lui tenait à cœur. Quoi ? Il n’avait pas su le deviner le jour même et encore aujourd’hui il ne savait pas. C’était de cette réflexion qu’il commença à vouloir monter plus haut, toujours plus haut pour atteindre les cieux.

Il s’était souvent demandé ce qu’il ferait si une guerre éclatait, rien n’était prévisible et à tout moment un drame pouvait se produire. Certainement qu’il se serait battu avant de se rendre compte de l’inutilité de ses actes et du désintérêt que portaient les investigateurs mêmes du conflit. Il ferma les yeux, faisant le vide dans son esprit, les sensations physiques revinrent d’un coup, il tremblait légèrement, la pluie n’était pas chaude et il était glacé comme Tian qui s’était enroulé autour de lui pour se réchauffer, sa tunique noire ruisselaient et la force des gouttes qui tombaient sur lui commençait à lui donner une migraine assez dérangeante, il n’aurait pas été surpris de se retrouver avec une joli rhume le lendemain.

Il ne capta le bruit de pas qu’au dernier moment, ouvrant les yeux, il ressentit la proximité d’un corps il eut pour réflexe de directement déverser son chakra. "Slevin... Slevin Aiki, je présume. Pas trop déçu de ta défaite lors de cet examen ?" La voix était grave et semblait presque dénuée de vie. Slevin se retourna tout en créant la protection Raiton autour de lui. L’individu ne ressentit rien du tout lorsqu’il s’empara du col du jeune homme. Tian allait s’apprêter à se jeter sur ce qui semblait être un homme mais la simple volonté de celui-ci le laissa en plan. Le jeune homme ne paniqua pas malgré le non-effet de sa technique, il referma sa main sur le poignet de l’individu et y déversa une puissante décharge, une nouvelle fois la personne encapuchonnée ne sembla pas plus gêner. Le temps sembla s’arrêter, finalement Slevin ne put que sourire, rien ne servait de se déchaîner sur un adversaire beaucoup plus puissant que lui. L’individu avait une longue cape noire et une capuche recouvrait une partie de son visage mais on pouvait tout de même apercevoir un regard fort étrange et des cheveux roux. « Il ne s’agit de défaite que lorsqu’on est mort, le temps à jouer contre moi, j’aurai gagné. » lâcha-t-il simplement. Tian grogna malgré le fait qu’il soit comme paralysé. « Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? » La force de l’homme et le mystère qui semblait l’entourer avait réveillé la curiosité du jeune homme et de son compagnon.

L’étranger, Slevin et Tian étaient comme figés, aucun d’eux ne bougeait et ils s’observaient bien que le binôme ne pouvait pas vraiment le faire. Le genin avait toujours son bras levé. La pluie battante n’avait pas cessé et le paysage gris tout autour d’eux semblait se fondre et se mélanger comme si le monde s’effondrait. La présence de l’inconnu apportait quelque chose d’à la fois effrayant à l’atmosphère mais aussi passionnant et malgré son envie de ne pas l’écouter et de retrouver la raison le blondinet ne pouvait que sentir sa curiosité grandir en lui tout comme celle de Tian qui n’avait toujours pas bougé depuis l’arrivée du troisième personnage de la scène. Le décor n’était pas très attrayant, une ruelle sombre, abandonné à la crasse, un petit court d’eau transportant plus de déchets que d’eau et un point en métal à moitié rouillé. La scène était quant à elle beaucoup plus intéressante à vrai dire. L’homme encapuchonné attrapa le bras de Slevin qui le tenait par le col. Il ne semblait pas forcer alors que le jeune homme ressentait bien la poigne forte qu’il exerçait sans effort sur lui. L’inconnu eut un bref mouvement de tête et Tian se braqua, peut-être qu’il avait réussi à croiser son regard que lui-même n’avait pas encore vu. Il semblait logique de garder son identité secrète pour quelqu’un qui masquer son visage. Lors de l’accrochage, Slevin fronça les sourcils, que voulait vraiment cet homme après ce discours bien beau en paroles. « Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, pas les morts. Pour qui prenez-vous les shinobis pour croire que la victoire ne leur apporte que l’honneur et la fierté ? Vous semblez croire d’en savoir beaucoup, peut-être trop. »

L’homme encapuchonné continua sur sa lancée, ses paroles n’étaient pas fausses voire véridiques. Ce qu’il décrivait avec des mots c’était exactement ce que à quoi Slevin pensait quelques minutes plus tôt. Il était vrai qu’il aurait très bien pu rester dans les gradins pour supporter les genins de Konoha encore en lice mais il ne l’avait pas fait. La défaite avait quelque chose de dégradant, surtout dans ces conditions. Il parlait de contrôler le temps, l’apprivoiser, comment pouvait-on contrôlé quelque chose qui était immatériel, qu’on ne pouvait attraper. Les phrases mystérieuses attisaient encore plus la curiosité du jeune homme, ce dernier savait que c’était fait exprès mais il se prêtait au jeu, après tout il avait envie de connaître la suite de la pièce. La défaite l’avait certes poussé à cette réflexion mais il ne s’agissait que de la goutte d’eau qui avait fait débordé le vase, depuis déjà de longs mois il se posait des questions sur le pourquoi, le comment. C’était presque puéril et futile mais il en avait convenu avec Tian il ne voulait pas un pantin sans conscience. Même si en temps de guerre les ninjas devaient jouer ce rôle si dégradant caché derrière un rideau mensonger de fierté, d’honneur et autres valeurs. L’homme leva une main au ciel et la pluie grisante cessa, le soleil revenant dans l’immédiat donnant à la scène une toute autre image.

L’inconnu continua son discours, un orateur normal aurait été enflammé mais de lui n’émanait aucune émotion, il parlait de bétail, d’endoctrinement mais lui-même semblait n’être qu’un pantin sans vie. La première réaction qu’aurait eue Slevin serait. « Ça ne vous concerne pas. » Pourtant le mal était fait, le nouveau venu avait très bien joué son jeu et le binôme s’était amusé à s’y laisser prendre. Il railla. « Vous vous prenez pour qui ? Un moine qui traîne sa charité là où il passe ? Vous voulez peut être que je repentisse ? » Il sourit, alors que Tian lié intiment avec son compagnon se détendit lui aussi. « Mais soit. Votre discours n’a aucun intérêt, vous croyez que nous ne voyons pas ça ? Nous avons conscience que peu à peu nous perdons notre conscience, n’est-ce pas ironique dans un sens ? Mais nous ne pouvons rien faire, je ne suis rien de plus qu’un simple shinobi de bas rang de Konoha, jamais ma voix ne sera entendue, et il n’y a qu’une solution pour qu’elle le soit. Je dois monter plus haut, toujours plus haut et lorsque j’aurai atteint les cieux ma voix sera entendue, je veux changer que vous venez de dire… mais la défaite d’aujourd’hui est un obstacle supplémentaire à cet objectif. Je ne suis pas fou, je sais qu’au fur et à mesure de grimper ma volonté en sera réduite, c’est là qu’intervient Tian, un être assez fort pour garder mes réflexions au plus profond de mon cœur, dans un autre cœur. » Il marqua un temps de pause, baissant les yeux sur Tian, celui-ci prit la parole. « Slevin et moi formons un tout certes, mais j’ai ma volonté propre, je serai là. Quoiqu’il arrive et quoique nous allons devoir faire pour atteindre la finalité de notre histoire. » « Je ne vois que cette solution aujourd’hui… il est certain que je n’ai jamais rêvé de devenir ninja pour aller crever sur un champ de bataille, à dire vrai je n’ai jamais rêvé de quoi que ce soit. » « Peut-être connaissez-vous une autre version de l’histoire ? »