Quelquefois, le loup est assez bienveillant pour ne pas vous mordre lorsque vous mettez la main dans sa gueule, pour peu que vous n'enserriez aucune lame entre vos doigts. Le pays de la Neige, Yuki no Kuni, faisait peut-être partie de cette race particulière de fauves, ceux qui ne tuent que par nécessité. Tout ce que j'avais à faire, c'était de me présenter à lui en lui faisant croire que ma mort était inutile.
Sasori-san m'avait confié une mission qui, de prime abord, semblait insoluble pour une kunoichi telle que moi. L'infiltration d'une barrière n'était en rien dans mes capacités, mais quelque part, une pointe de fierté pleine d'une intime assurance réchauffait mon coeur. Il avait fait confiance en ma subtilité et il s'agissait là de ma première arme, avant toutes les autres.
J'arracherai ses crocs au loup blanc au moment où il s'imaginera recevoir une caresse ! songeai-je farouchement.
J'étais partie en prenant la mer depuis la région entre Oto et Yuki, là où les influences des villages cachés s'estompaient pour laisser place à une cécité et une surdité des Kage. Ca faisait un moment que j'arborais le statut de Nukenin et ce genre de précautions ne m'avait jamais paru inutile, à plus forte raison lorsqu'on appartenait désormais à l'Akatsuki. Pour ce que j'en savais, les shinobis pouvaient tout aussi bien ignorer ce dernier fait qu'en avoir connaissance, et je n'aimais pas vraiment prendre des risques qui ne m'apporteraient pas de contre-partie. A l'inverse de certains de mes pairs, je ne prenais pas de plaisir particulier à être la cible d'autres ninjas.
- Hé, mademoiselle ! Vous devriez vous couvrir, lança l'un des passagers - un vieux bonhomme emmitouflé dans un épais manteau bordé de fourrure, à la capuche lui mangeant le haut du visage.
Je lui retournai un regard dont j'avais volontairement atténué l'éclat, désireuse de laisser un minimum de souvenirs de mon passage aux autres voyageurs. J'avais prévu d'arriver affaiblie et frigorifiée à Yuki, ainsi qu'un oiseau blessé venu mourir dans la neige pour une raison inconnue. C'était un pari risqué, où je pouvais perdre la vie ; mais je tablais sur la compassion des shinobis, qui me recueilleraient si je m'échouais, à bout de force et gelée, aux alentours de leur domaine. Ils me ramèneraient alors à l'intérieur de leur imposante barrière, et mon intrusion passerait pour tout à fait normale.
Le plus compliqué n'était pas vraiment de mettre mon existence dans la balance. Ca risquerait plutôt d'être la difficulté à masquer la haine que j'avais d'eux, pour leur ignorance, leur bêtise, leur aveuglement volontaire... servir leur maudit Kage...
- Merci, monsieur, mais ça ira ! renvoyai-je à l'homme avec un petit signe de la main.
Le vent soufflait en force sur le pont du navire, venu du Nord et apportant son lot de flocons. J'en recueillis un au creux de la paume, l'observant fondre sous la chaleur que je dégageais. Les manches habilement percées et le col discrètement dégagé afin que le froid s'y engouffre, je faisais exactement ce qu'il fallait pour mourir dans une contre telle que celle de Yuki no Kuni.
- Je vais rester encore un peu, et puis je rentrerai. Il maugréa à propos de l'inconscience de la jeunesse et haussa les épaules, avant de retourner à l'abri des éléments en regagnant l'intérieur du navire. De mon côté, je m'accoudais à nouveau au bastingage saupoudré de neige pour laisser promener des yeux rêveurs sur l'étendue salée, si calme et paisible. Le ciel était uniformément gris, coloré par la couche monotone des nuages, mais il ne se reflétait pas sur la surface sombre des eaux. Çà et là, de minces lambeaux de banquise s'éloignaient ou coulaient sous notre passage. Nous étions encore trop au Sud pour qu'ils résistent à leur longue dérive vers le large.
Je posais la joue sur mes avants-bras, tentant d'ignorer la morsure du givre prégnant. Ma natte s'agitait de par les aléas de la bise, faisant délicatement tintinnabuler la clochette qui y était nouée. Mes paupières se fermèrent, m'ôtant au paysage.
Il ne me restait qu'à dormir. Dormir pour me préparer à mourir.
*
- Ici ! Elle est ici !
- C'est pas vrai... je t'avais bien dit que j'avais vu quelque chose !
- Ah, quelque chose, ouais...
Non... ils m'ont trouvée trop tôt... Cela fait longtemps que j'ai perdu la sensation de mes mains et je crois même avoir oublié ce que ça faisait de ressentir ses propres pieds marcher sur le sol, mais j'ai encore assez de force pour m'éveiller à une perturbation extérieure. C'est trop tôt.
J'avais immédiatement pris la direction du village une fois débarquée, ayant longuement étudié la géographie de la région avant de partir pour cette mission - j'avais eu peur de succomber trop loin de ma destination. Mal m'en était pris, puisque je me retrouvais maintenant en assez bon état pour qu'ils risquent de ne pas me prendre avec eux. Mon esprit se mit à réfléchir à toute allure alors que j'entendais des pas crisser dans la neige, allongée que j'étais au bord d'une congère ; et un plan désespéré germa des roueries de mes pensées.
Je devais les tuer. Les tuer, et m'infliger une blessure pareille à la technique que j'utiliserai pour leur ôter la vie ; ainsi, je ferai partie des victimes, miraculeuse rescapée protégée par des ninjas de retour au village, et nul ne se doutera de ma véritable nature. Mais pour cela... je devais éviter chacune de leur riposte, car la moindre entaille pourrait m'attirer de mortels soupçons. Par ailleurs, j'étais assez affaiblie pour risquer de ne pas m'en sortir.
Des mains lestes me saisirent au poignet et à la taille pour m'arracher au linceul glacé du sol et me retourner, face au ciel. Dessous mes cils enneigés à peine entrouverts, je reconnus un chuunin de Yuki.
Des voix plus juvéniles piaillaient autour, mais je ne pouvais pas jeter un oeil pour voir à qui elles appartenaient sans risquer de montrer que j'étais consciente. Il me fallait supposer qu'ils étaient genins... Tant mieux. La tâche serait plus facile, et le plus vite ils mourraient, le moins ils auraient à souffrir.
Un seul crépitement au bout de mon index le parvint en guise d'avertissement.
- Raiton ! Kangekiha, soufflai-je, les paupières toujours clos.
Au lieu de manipuler le chakra pour l'orienter sur ma cible, je l'avais simplement délivré tout autour de moi, en me faisant le générateur de cette débauche d'énergie. La technique en était du même coup moins efficace, mais les cris de surprise et de souffrance qui s'élevèrent de concert tout autour de moi m'informa du succès de mon entreprise. Les genins n'avaient pas le niveau suffisant pour résister vraiment à ce genre d'assaut, expulsé de si près et lorsqu'ils ne pouvaient aucunement s'y attendre.
Le soutien des bras qui me soutenaient disparut et je me ressaisis afin de ne pas tomber dans la neige, me redressant avant d'ouvrir doucement les yeux.
Ils étaient trois à gésir sur le tapis fondu des larmes célestes, foudroyés par les éclairs que j'avais délivrés. A peine ninjas... Le quatrième, le chuunin m'ayant soulevée, était à genoux en contemplant ses mains qui vibraient d'une manière incontrôlable. La douleur convulsait ses traits en un masque presque touchant.
Je m'approchais de lui, et il me fixa avec un mélange détonnant de haine et de terreur. Nonobstant sa fureur, j'esquissais quelques signes malgré la raideur de mes doigts :
- Technique d'interrogation !*
J'ouvris les yeux dans un monde fait de blanc et d'une sérénité artificielle. Ma poitrine me lançait de petites brûlures, là où je m'étais frappée par mon propre Raiton après avoir exécuté le chuunin. Mes bras et mes jambes me lançaient atrocement, et je levais péniblement la main pour constater que du sang avait souillé les bandages.
Un jeune homme aux cheveux d’un roux foncé ronflait tel un bienheureux dans un coin de la pièce, meublée comme le sont toutes les chambres d'hôpital shinobi. Une petite table roulante à côté du lit, supportant divers flacons destinés à faciliter le travail des soigneurs en leur fournissant le plus élémentaire à portée de main. Je me laissais aller au fond du matelas, profitant un peu de cette tranquillité passagère. Car bientôt, tout passerait par le prisme mouvementé du double-jeu...
Je repensais aux derniers évènements ; après avoir soutiré au chuunin tout ce qu'il savait à propos du village ainsi que quelques informations sur lui-même - chose qui me servirait plus tard... il ne fallait jamais négliger le potentiel de compassion que pouvait recéler un détail véridique au milieu d'une mer de mensonges -, je l'avais sorti du genjutsu pour l'achever. J'avais ensuite invoqué mes dernières forces pour me délivrer un éclair en plein torse, me brûlant assez gravement du même coup. Je m'étais alors effondrée pour de bon au milieu des cadavres.
Comme prévu, je n'étais pas passée inaperçue, et cette fois-ci en assez piètre état pour être ramenée au coeur du domaine des Yuki-jin - fait assez prévisible, étant donnée que j'étais la survivante d'un affrontement qui avait décimé une de leurs équipes.
- Ah ! vous êtes réveillée ?- Euh... oui... bonjour, répondis-je d'une voix candide à l'homme qui venait de sortir de son somme.
Il se leva prestement pour venir à mes côtés, me prenant le poignet entre le pouce et l'index et lorgnant ensuite sur les bandages collants qui me recouvraient. Je n'eus pas à me forcer pour rougir, mais le feu de mes joues était dû à la colère et non à la gêne.
Mon dégoût des ninjas...
- Allez, ne soyez pas prude, il fallait bien s'en occuper. Nous avons jeté vos vêtements, ils étaient carbonisés. - C'est une femme qui aurait pu s'occuper de moi, marmonnai-je tout en m'entourant de mes bras pour l'empêcher de me toucher.
- Très bien, j'ai compris... Il sortit rapidement dans ce que je devinais être un couloir et appela une certaine Imari qui ne tarda pas à venir le rejoindre. Ils échangèrent quelques mots que je ne compris pas, et elle pénétra dans la pièce pour venir vers moi. C'était une adolescente de quelques années ma cadette, arborant fièrement le bandeau de Yuki no Kuni sur le front. Quant à celui qui m'avait veillée, il se tenait dans l'embrasure de la porte, regardant distraitement à travers la fenêtre du mur opposé.
La kunoichi s'affaira rapidement et sans prononcer une seule parole, m'ôtant mes linges pour les changer. Je pu alors constater que mes doigts étaient crevassés d'engelures, ce qui avait provoqué le saignement. Quant à ma poitrine, elle avait été sérieusement brûlée par ma décharge de Raiton.
- Là, soupira mon chaperon en revenant auprès du lit, lorsque la jeune fille eut fini.
Vous savez, je n'en ai pas profité. Je gardais un silence qui se voulait boudeur.
- Bon. Quoiqu'il en soit, vous avez certainement des choses à me raconter, alors j'écoute. - Des... des choses ? balbutiai-je.
Il y avait tellement de compassion dans les yeux qu'il posa sur moi que je ne savais pas trop si je devais en rire ou en pleurer. M'en réjouir, ou m'en irriter.
- C'est peut-être le froid qui a blessé vos mains, mais la plaie à votre torse... il y avait quatre ninjas autour de vous, tous morts. Atteints par le même genre d'attaque. Alors, je répète : qu'avez-vous à me raconter ?- Je...Je me figeais, adoptant une mine perdue.
- Je ne sais pas... - Vous ne pouvez pas ne pas savoir ! Il avait prit un ton dur pour me jeter ces mots au visage. Il avait mal, c'était évident.
- Trois genins et un chuunin sont morts hier ! Et vous, vous étiez au milieu de tout ça ! Vous avez été frappée de face, vous avez vu ce qu'il s'est passé !Je ramenais les genoux et le drap contre moi, enfouissant ma bouche sous l'étoffe comme pour me cacher de lui. Il soupira, se passant une main fatiguée sur le visage.
- Désolé... je ne voulais pas vous brusquer. Mais au plus tôt vous m'expliquerez ce qu'il s'est passé, au plus vite nous pourrons rattraper celui qui a fait ça. Car ce n'est pas vous, hein ?- Mais non, je... je...- Allons-y doucement. Le choc a dû être important, mais ça va vite vous revenir. Comment vous appelez-vous ? La dernière chose dont vous êtes sûre, qu'est-ce que c'est ?- Le bateau, m'empressai-je de dire, comme si lui répondre importait beaucoup à mes yeux.
J'ai pris le bateau pour venir jusqu'ici. Puis, baissant les yeux :
Je m'appelle Laheela. Laheela Lee. - Enchanté, trouva-t-il l bonne humeur de sourire.
Moi, c'est Kazei Nayiri. Je blêmis spontanément en entendant son prénom, le même que mon frère. Il le remarqua et ses yeux s'étrécirent :
- Quelque chose ne va pas ? Vite, penser à autre chose.
- Kuro... le...Je faillis dire "le chuunin", mais me rattrapais en vitesse. En tant que simple voyageuse, je n'étais pas censée pouvoir identifier aussi aisément le grade d'un shinobi, dans le feu de l'action.
- ...l'un des garçons a été appelé Kuro par l'un de ses amis...En réalité, je lui avais arraché son nom avec ma technique d'interrogatoire.
- Kuronushi Ateru, soupira Kazei.
C'était son nom. Je vais vous donner ceux des autres, peut-être que ça vous aid...- Non ! l'empêchai-je d'un ton un peu trop fort - mais la chose était voulue.
Si vous les énoncez, ils résonneront toute ma vie à mes oreilles... ces enfants, tués de cette manière... - Les souvenirs vous reviennent ?- Oui...Je pensais à mon frère, à la facilité déconcertante avec laquelle il avait manqué de me tuer. Aux Kage et à leur domination tyrannique, qui conduisait les ninjas à assassiner, exécuter... sans retenue aucune et sans se soucier de rien, même pas des liens du sang. Certes, aujourd'hui je faisais la même chose qu'eux : mais moi, je le faisais pour y mettre un terme. N'est-ce pas ainsi que les protecteurs de la paix justifient la manière dont ils tuent pour la préserver ?
- Un homme illuminé de lumière... il lançait trop d'éclairs, je n'ai pas pu le voir précisément... il m'a frappée et j'ai été jetée à terre. Je portais une main tremblante à la blessure de ma poitrine.
Et puis ces enfants, ils sont intervenus... mais... mais... - Ca ira, me rassura-t-il en posant sur le bord du lit une main qui se voulait réconfortante.
C'est déjà assez. Vous avez du papier et de quoi écrire ou dessiner sur cette table.Il indiqua le meuble à côté de moi.
- Si des détails au sujet de cet homme vous viennent à l'esprit, notez-les. Je vous laisse tranquille pour le moment, mais je reviendrai ce soir. D'accord ?- Oui, hochai-je timidement de la tête.
Il ferma les yeux et m'offrit un sourire de plus chaleureux, avant de sortir en refermant la porte. Je me contins quelques secondes, puis lâchai un profond soupir.
- Uuuh. Bon, maintenant il va falloir retrouver mon informateur... mais d'abord...Je me renfonçais dans les draps, goûtant le confort de l'oreiller mis à ma disposition.
- Repos.