J’avais cessé pour de bon d’espérer l’arrivée de ma lettre. J’étais affectée aux renseignements maintenant, et j’adorais cela. Je n’attendais plus que l’apparition soudaine d’un dossier de la plus haute importance, quel qu’il soit. Et au bout de deux jours à me ronger les ongles, Rei refit son apparition. Je marchais dans les rues de Konoha no kuni et, je le jurerais sur la vie de ma chère mère, je n’aurais jamais pu le voir arriver. Je lui souris et nous nous saluâmes comme la dernière fois. Étrangement, nous nous étions tout de suite entendus et notre complicité égalait celle de binômes ayant travaillés ensemble depuis plusieurs années déjà. De simples regards suffisaient pour que nous puissions communiquer. Il se posta à mes côtés, nous étions tous deux appuyés dos à un mur, regardant la vie s’écouler dans le village de la feuille sans que personne ne remarquer nos efforts pour maintenir la paix. Le village était encore jeune et les plus grandes menaces venaient encore de l’intérieur.

Nous restâmes ainsi longtemps, jusqu’à ce qu’un individu que j’évaluai au rang de Genin passe sans nous remarquer. Je compris au regard que Rei me jeta qu’il s’agissait de notre cible. Je le regardai s’éloigner, mémorisant son visage, alors que Rei me donnait mes instructions, tendant vers moi un dossier. Ce qu’il y a bien avec la vraie vie, c’est que dans les rues, personne ne vous porte attention, ou alors ils s’emploient à retourner dans leur monde et à vous oublier au plus vite. Je l’ouvris donc pour voir la photo d’un autre jeune homme, gradé Genin également. Les explications arrivèrent avant la question.

« Le garçon dans le dossier est soupçonné de planifier une désertion. Nous nous devons d’être certains avant d’intenter des actions contre lui. Tu devras donc prendre possession du Genin qui vient de nous croiser et déterminer s’il représente une menace. Si c’est le cas, n’hésite pas à utiliser le corps que tu possèderas pour l’arrêter et le faire disparaître de la circulation. Une cellule l’attend déjà, juste au cas. Je m’occuperai de ton corps durant la mission, comme d’habitude. »

Cette dernière expression me fit sourire. Il s’agissait de notre seconde mission ensemble, et pourtant j’avais l’impression qu’il disait vrai. Nous étions devenus partenaires et nous avions déjà un début de petites habitudes. J’ignorais pourquoi, mais je savais que je pouvais lui faire confiance et, surtout, qu’il ne ferait rien de louche avec moi pendant que mon esprit vagabondait ailleurs. Je lui rendis le dossier et nous partîmes à la chasse. L’équipe devait se rencontrer dans deux heures pour un entraînement. Je devais avoir pris possession de mon Genin d’ici là, dans la discrétion la plus totale. Selon nos informations, il passerait sûrement à sa boutique d’armes favorite, l’occasion parfaite.

Nous infiltrâmes donc un magasin d’armes et Rei n’hésita pas à mettre le vendeur sur la touche pour enfiler son uniforme et patienter derrière le comptoir. Je feignis d’être une acheteuse potentielle, mon regard bleuté étudiant encore et encore un joli katana. Peut-être pourrais-je l’acheter une fois la mission terminée, pourquoi pas? Et cling cling! La cloche retentit, nous informant de l’entrée d’un client. Je ne regardai même pas, le monologue que Rei commença à débiter était suffisant pour deviner que nous avions notre poisson. D’un geste, je fermai les rideaux et tournai la petite pancarte à « fermé », pendant que Rei lui agitait un shuriken fuma sous le nez. Ah les hommes, quand quelque chose les passionnent, ils ne se rendent même pas compte qu’une jeune femme pourrait les posséder d’un instant à l’autre. Dans tous les cas, c’était à mon avantage. En deux temps un mudra, mon corps tombait au sol et le Genin partageait un regard complice avec Rei. Je ré-ouvris les rideaux et retournai la pancarte alors que Rei filait cacher mon corps dans l’arrière boutique. Le tout dura moins de vingt secondes.

Et nous poursuivîmes la discussion jusqu’à ce que je me laisse tenter et que j’achète de tous nouveaux shurikens pour mon Genin. Je croisai un autre client en sortant et lui sourit, tout se passait à merveille. Je me dirigeai vers le terrain d’entraînement tout en essayant d’avoir l’air la plus naturelle possible. Il était hors de question de me vendre car je n’agissais pas assez comme mon Genin.

C’est alors que l’on m’interpella, ou plutôt que l’on interpella le jeune homme que je possédais. Je me retournai et saluai le jeune Genin soupçonné de vouloir déserter. Il avait l’air plus jeune que moi encore! Et il voulait déjà quitter le village? Les informations devaient être erronées! Cette fois, moi aussi j’avais personnellement envie de comprendre ce qui pouvait pousser à prendre une telle décision.

« Alors, tu es prêt pour l’entraînement? Je viens de m’acheter de nouveaux shurinkens. Et tu aurais du voir le shuriken fu… »

Ma cible me jeta un regard presque désespéré. Puis, il me fit signe de la façon la moins subtile du monde de le suivre dans une ruelle afin de s’écarter du tumulte de la foule. La chimie dans cette équipe ne devait pas être excellente, et où était donc le troisième membre? Peut-être était-ce justement lui qui…

« Il m’a trahi! Il est allé prévenir la police! Ou pire, les renseignements! Qu’est-ce que je suis supposé faire maintenant hein? S’ils ont des preuves et qu’ils m’attrapent, je pourrais être condamné pour ça! Merde!»

Gagné, encore? Désespérant. Dans tous les cas, comment faire dériver la conversation pour qu’il m’avoue ses raisons? Mais mon possédé était forcément déjà au courant et une question à ce propos serait mal-vue. Il était hors de question de mettre la mission en péril pour satisfaire ma soif de curiosité. Ce n’était pas ce qu’un bon ninja ferait. Étais-je une bonne kunoichi?

« Es-tu certain que de trahir le village et de déserter est la bonne chose à faire? »

Il me regarda avec des yeux soudainement plus grands, surpris. Il fallait que je sois plus prudente, j’avais failli lui mettre la puce à l’oreille!

« Trahir le village? Tu étais d’accord, tu m’y as encouragé. Pourquoi dire que c’est une trahison maintenant? Tu connais mes raisons! Explique-moi pourquoi tu as changé d’idée!? »

En fait non, je ne les connaissais pas du tout. Et j’allais devoir patiner vite pour répondre à celle-là sans me faire démasquer. Il me saisit par les épaules et plongea son regard dans le mien. Un regard fou, apeuré, en panique. Un peu plus et je l’aurais cru capable de s’effondrer en larmes dans mes bras. J’avalai ma salive, mal à l’aise. Au moins j’entrais bien dans le rôle, non? Il me suppliait de lui répondre. Peut-être au fond avait-il simplement besoin d’être dissuadé. J’entrouvris la bouche, incertaine de ce que je devais dire. Et soudain, alors que je ne répondais pas, il eut un hoquet d’horreur.

« Oh non! Une transformation! Non! »

Et il agrippa ma main pour y planter un kunai avant même que je n’aie le temps de réagir. De toute façon je n’avais pas le choix, je devais le laisser se rassurer. Je grimaçai, songeant à la marque qui venait sans doute de se former sur mon corps également. J’aurais bien mal une bonne semaine, bravo! Au moins, il peut me regarder en face et respirer plus lentement, convaincu que son ami n’était pas une transformation.

« Tu es content maintenant? Aie! Je pourrais même plus tenir un kunai pour une bonne semaine avec ça! Je dis juste, es-tu certain de vouloir le faire? Ce n’est pas rien. »

Il rangea son kunai et fit les cent pas. Il réfléchissait à un moyen de s’en sortir et s’il était comme je le croyais, il tenterait d’inclure son ami avec lui dans ses plans. Et……bingo!

« Écoute, on va se retrouver ici dans deux jours avec tout le matériel et à la tombée de la nuit, nous partirons par la porte Ouest. Mon oncle connait l’homme qui sera de garde, je peux essayer de lui en parler pour qu’il facilite notre sortie. Quand je lui dirai pourquoi je veux partir, il n’aura pas d’autres choix que de nous dire oui. Tu crois que tu pourrais t’arranger avec ton père pour nous avoir une ou deux infos sur les clans de Konoha? On pourrait en avoir besoin pour manger et tout quoi. De toute façon ce village est une forteresse donc…tu m’écoutes? »

Il venait de me dire ses plans, je devais maintenant l’arrêter et l’emmener à la prison avec Rei pour le faire inculper pour planification de désertion et intention de revendre des informations à un camp ennemi. Mais je voulais tellement savoir pourquoi! Pourquoi tous ces gens n’étaient-ils pas heureux à Konoha alors que moi j’y étais comme chez moi? J’allais insister jusqu’à ce que je le voie. Il était camouflé dans l’angle du toit, dans l’ombre. Mon corps à la main blessée sur son épaule. Il n’avait même pas besoin de parler, sa seule présence était un message assez clair.

« Oui, ne t’inquiètes pas, ça en fait seulement beaucoup en même temps tu comprends, j’ai du mal à croire que l’on va vraiment faire ça, tu vois? »

Il acquiesça, soudain plus détendu. C’était le moment ou jamais. Il pausa sa main sur mon épaule et me sourit. Il allait parler, mais je l’agrippai par le col et le tirai vers le bas, tout en portant un coup ascendant avec mon genou, ce qui l’atteignit en plein ventre. Il en eut le souffle coupé et ses yeux s’agrandirent, m’implorant des explications. Mais trop tard, j’utilisai la force de mon corps d’emprunt pour le saisir par la tête et fracasser son front contre le mur le plus proche. Il était sonné et le ligoter fut extrêmement facile alors qu’il pleurnichait. Rei vint me rejoindre sans un mot, mis le Genin maitrisé sur son épaule et disparu. Je lui laissai le temps de mettre un peu de distance entre moi et lui. Je ne voulais pas que mon possédé ait la chance d’aider son ami. Libération.

Et je me réveillai sur l’épaule de Rei, en direction pour la prison. Une fois à destination, je le regardai s’éloigner avec notre prise alors que je devais, selon notre accord, aller remplir le dossier. Le plus déprimant là dedans, c’était que je ne saurais jamais pourquoi ce Genin voulait déserter. Ne comprendrais-je donc jamais mes semblables? Les konoha-jins? Incapable de me lier d’amitié avec les ninjas sérieux de l’académie et maintenant incapable de comprendre les laissés pour compte qui rêvent d’aller refaire leur vie ailleurs. Où était ma place dans tout ça?