Alors que j’arpentais les rues, désertes et silencieuses, retentirent soudain des cris ; ils semblaient provenir de l’épicerie du village. Je m’approchai, ralentissant le pas, me postant au coin de la rue. Un jeune garçon sortit en trombe poursuivi par le marchands dont la bedaine - rebondie et très bien portante- paraissait ralentir la course. L’adolescent fuit. Son poursuivant s’arrêta, manifestement éreinté par l’effort. Je lui vins immédiatement en aide, l’aidant à se remettre de ses émotions. Il m’invita à rentrer dans son commerce et nous commençâmes à converser. Une odeur putride émanait de la pièce, juchée de sacs – dont la diversité des épices provoquait un mélange absolument intenable- ; si mes narines eurent été des yeux, je vous prie de croire qu’elles auraient pleuré. Mais l’homme semblait habitué. Et, alors qu’il me parlait, je tentais d’écouter ses dires, retenant ma respiration, agonisante. Il me confia qu’il connaissait le garçon qu’il avait poursuivi ; il venait de lui voler la caisse et ce, pour la seconde fois. « Cet enfant n’a ni parent, ni proche. Il n’a ni foi, ni loi. Il part généralement en marge de la ville et finit par revenir quelques jours plus tard. Il faudrait que quelqu’un lui vienne en aide ». Après l’avoir écouté, je me décidai à partir. Pour ne rien cacher, c’était moins par soucis de retrouver le jeune homme que pour pouvoir respirer normalement que j’étais sorti mais après quelques méditations, je finis par me mettre en route, à la recherche du sacripant.
Je n’eus pas longtemps à chercher. Je le trouvai deux rues plus loin. Il était assis, le visage entre les bras. Je la reconnus à ses cheveux de paille, blonds. J’entendais, du bout de l’allée, de petits gémissements qui semblaient être des pleurs. En m’approchant, j’eus confirmation de ma supposition.« Mon garçon ? » l’interpelai-je après lui avoir tapé sur l’épaule. Il recula « que veux-tu ? » me rétorqua-t-il. « J’aimerais que nous parlions ». Nous parlâmes une heure durant. Il m’apprit le décès de ses défunts parents et m’expliqua de quelle manière il tentait de survivre. Je finis par le convaincre, non sans peine, de reprendre les études. Il me rejoindrait le lendemain devant l’école du village ; après tout, il n’aurait que 6 ans de plus que ses camarades de classe. Face à sa gêne apparente, je lui fis la promesse que je lui enseignerais ce qu’il aurait à savoir. Nous ne serions que nous deux. Le rendez-vous était programmé pour huit heures.
Dix heures étaient passées lorsque le jeune homme arriva. Je me refusai à le remercier pour sa ponctualité. Nous nous aventurâmes dans une classe, poussiéreuse. Nous nous mîmes immédiatement au travail. Je commençai par le soumettre au révélateur exercice de la dictée pour évaluer l’ampleur des dégâts et croyez-moi, il aurait fait démissionné jusqu’au dernier des professeurs illettrés. « As-tu lu dans ta jeunesse ? » lui demandai-je. « Très peu mais je parcours toujours le même ouvrage ; ouvrage que j’aime d’ailleurs énormément ». « Tu as donc lu ? » [color=red]« oui »[color], « quoi donc ? ». « J’ai lu Mina ». Je lui en demandai plus sur cet ouvrage donc j’ignorais l’existence. Il me le sortit et me le tendit, fièrement. A peine eus-je eu le temps de l’ouvrir que je me rendis compte de son contenu. Un scandale de la littérature qu’il devait à un romancier manifestement analphabète. « Ne lis plus jamais ce chiffon, il a corrompu ton âme et ton intellect réduits en esclavage devant Mina, dont l’écriture, de son fléau orthographique, t’a inculqué l’erreur ; tu étais un inculte mon garçon, tout comme la romancier.
Après une semaine de remise à niveau, le jeune homme était remis sur pied – si je puis le dire ainsi car il avait recouvré la quasi-totalité de ses capacités mentales. Il était prêt à réintégrer le chemin des cours. Avant de le quitter, je lui demandai « Quel est ton nom mon garçon ? Et as-tu compris ton erreur ? ». ]« Je m’appelle Candide et oui, je n'aurais jamais du lire Mina ». A ces mots, le soleil transperça de ses divins rayons, un plafond grisâtre et ténébreux que le lumière chassa, caressant son corps savant.