La journée commençait mal, très mal. J’avais fait des cauchemars toute la nuit et mon sommeil avait donc été plutôt inexistant. J’avais donc pris ma douche avant même le levé du soleil et j’avais attendu impatiemment que le soleil se lève pour aller déjeuner chez mes parents, comme nous l’avions convenu quelques jours plus tôt. Et hop, on barre derrière et direction la maison. Le soleil commençait à monter et les oiseaux à chanter. Quelques passants me croisèrent, mais ils n’étaient pas très nombreux à cette heure. J’arrivai finalement devant la porte de mes parents et cognai pour entrer. Ma mère m’ouvrit, encore en kimono de nuit, s’excusant et me priant de l’attendre dans la cuisine. Ouais bon, j’étais peut-être arrivée un peu trop en avance tout compte fait. Je regardai un peu partout autour de moi, impatiente. Puis, ma mère arriva et commença à tout préparer, m’informant que mon père était en train de se laver et qu’il nous rejoindrait bientôt. C’est à ce moment que je la vis, bien en évidence sur une étagère aux côtés d’un joli pot de fleurs. Une photo nous montrant moi, mes coéquipiers et mon sensei le jour du mariage de ce dernier. Tous ensembles, souriant. C’était d’ailleurs ce jour là que Souji et moi avions échangé notre premier baiser. Mon regard violacé se tourna vers ma mère d’un coup, soudainement avide d’explications. Elle détourna le regard et se précipita vers l’étagère pour cacher la photo, s’expliquant d’une petite voix nerveuse.

- Habituellement tu n’arrives pas si tôt et j’ai le temps de l’enlever… Elle dissimula la photo en couchant le cadre et se tourna vers moi, un air presque craintif sur le visage. Ne crois-tu pas qu’il serait temps d’en faire ton deuil? Ce n’est qu’une photo, si à chaque fois qu’on en parle tu réagis comme ça…Et puis, tu es encore jeune, il faut que…

Je me levai, faisant crisser la chaise contre le plancher malgré moi, et posai mes mains sur la table, la regardant d’un regard agressif.

- Mais tu te fous de moi! Comment peux-tu oser penser que je pourrais l’oublier un jour!! Souji était ma vie, comment veux-tu que je fasse le deuil de ma putain de vie!?!

Sur ce, je tournai les talons et quittai la cuisine sans me retourner, filant tout droit vers la porte de la maison. Je l’ouvris et sortis avant de refermer derrière moi violemment et de reprendre mon chemin, marchant comme une locomotive. Non mais! Et puis quoi encore! Je remontai la rue, les bras croisés, frustrée comme une gamine. Enfin, à l’intérieur j’étais vraiment en colère, mais la tristesse avait encore une place prédominante dans mon être et je devais donc me retenir de pleurer plus qu’autre chose. Je remarquai une forme dans l’arbre que je croisai, me disant que c’était trop gros pour être un chat. Mais bon, je m’en fichais. Même s’il avait entendu mon petit éclat de voix par la fenêtre ouverte, ça ne changeait strictement rien à mes intentions, ficher le camp au plus vite et faire quelque chose de plus productif de ma journée.

J’allais poursuivre mon chemin lorsqu’une voix m’interpella. Je me figeai sur ma place, me retournant lentement pour le dévisager du regard. Ainsi, il se plaignait du fait que je l’avais vu, mais que je ne lui avais pas parlé? Mais il vivait sur quelle planète? Si l’on devait faire la jasette à tous les inconnus qu’on croise dans une journée, on aurait plus le temps de vivre quoi! J’allais simplement l’ignorer et poursuivre mon chemin lorsqu’il sauta agilement pour retomber devant moi, me bloquant le passage. Il faisait une tête de plus que moi et avait le même type de cheveux que Souji, foncés et en désordre. De plus, il avait un sourire franc et une mâchoire carrée. C’est à ce moment qu’il sortit une vieille pipe et que l’un de mes sourcils s’arqua, me conférant un air perplexe. En tant que jeune kunoichi formée aux arts médicals, je désapprouvais fortement cette pratique, connaissant ses effets sur les poumons d’un individu fumeur. J’allais le lui signaler lorsqu’il se cru permis de me faire la morale. Un genre de blabla sur les émotions négatives qui mènent à la tristesse et à l’égarement. L’art de parler sans savoir de quoi l’on peut bien parler. Ce n’étaient pas mes émotions négatives qui m’amenaient de la tristesse et à l’égarement, mais bien l’inverse. La perte de Souji-kun m’avait changée et pas qu’un peu. Mais bon, cet inconnu ne pouvait pas le savoir.

Il tira de nouveau sur sa pipe et sembla se remémorer quelque moment agréable durant un instant. Il se tourna ensuite de nouveau vers moi, souriant. L’inconnu se présenta sous le nom de Sarutobi Hiruzen et m’offrit de m’asseoir à ses côtés, ajoutant que parfois le simple fait d’écouter le vent pouvait nous faire du bien. Mouais, j’en doutais un peu, mais son sourire un peu bête m’avait donné envie de rester. Enfin, il m’avait plutôt encouragé à ne pas prendre mes jambes à mon coup dans la seconde. Je soupirai donc avant de m’y asseoir, croisant les bras et détournant le regard, un air toujours aussi fermé sur le visage.

- Megumi Izuko. Et vous devriez arrêter la pipe. C’est mauvais pour vos poumons et vous avez l’air vieux. Et puis je ne reste pas pour vous faire plaisir. J’ai juste un peu mal aux jambes alors…voilà.

Je pris la peine de ne pas croiser son regard, étant d’un naturel timide. Et puis cette pipe puait tellement, comment pouvait-il possiblement porter ça à ses lèvres? Beurk. Du beau gâchis sur un jeune homme qui avait lui aussi un petit côté de Souji en lui.

Il ignora totalement mon conseil sur la pipe et d’énormes volutes de fumées firent leur apparition, empestant la menthe et le tabac. Je fronçais les sourcils et détournai la tête pour ne pas recevoir en plein visage cette odeur, un peu plus et je me pinçais le nez. Mais bon, il y avait bien des limites à avoir l’air d’une gamine. Puis, il me pausa une question, s’adressant à moi par mon nom complet. Au moins il avait l’air assez poli pour son âge, ce qui commençait à se faire rare. Sa question fut d’ailleurs liée à cela. Il voulait savoir quel âge je lui donnais. Sans réfléchir, je répondis donc.

- Je sais pas moi, avec votre pipe un bon vingt-six ans je dirais.

Il me dit d’en rajouter une bonne cinquantaine et que j’aurais ma réponse. Sur le coup, un sourire s’afficha sur mon visage et je passai à un cheveu d’éclater d’un petit rire nerveux. Mais il poursuivit d’un ton tout ce qu’il y avait de plus sérieux, me forçant à ravaler mon hilarité et à tenter d’assimiler ce qu’il me racontait là. Il me dit donc que les habitudes de toute une vie ne se perdaient pas et qu’il était normal que mes jambes soient fatiguées, que la nature m’appelait à elle. Je le dévisageai d’un air ahuri, encore trop sceptique pour le croire sur parole. Je croisai mes bras et le considérai d’un air interrogateur.

- Vous allez quand même pas me faire croire que vous avez presque quatre-vingt ans. J’suis pas aveugle quand même! Vous avez pas une ride, encore moins de cheveux blancs. Et moi j’ai inventé le ninjutsu tant qu’à y être hein!

Je le regardai avec un air plus insistant cette fois, m’attendant à ce qu’il dise qu’il m’avait bien eu et que j’étais beaucoup trop naïve pour mon bien. Oui, ça me ferait sans doute du bien ça. Me faire rappeler que je n’étais pas qu’une jeune fille égoïste qui en voulait à tout le monde pour la mort de son aimé, contrairement à ce que beaucoup de gens avaient l’air de vouloir penser dans ce satané village. Peut-être il n’avait pas tort sur un point en tout cas. Ce n’était pas une si mauvaise chose de prendre le temps, de s’asseoir pour discuter un peu et découvrir d’autres gens. Peut-être c’était pour ça que les gens me voyaient seulement de cette façon, parce que je ne prenais pas le temps de leur montrer le contraire. Eh oh! C’était pas à moi de faire tous les efforts non plus! S’ils voulaient me découvrir, ils avaient qu’à travailler pour!