Le vent soufflait autour d'elle, la cajolant de sa respiration impétueuse. Il faisait frémir la surface du lac au centre duquel la shinobi, assise en tailleur sans qu'elle ne se laisse mouiller pour autant. Son chakra circulait avec une maîtrise impeccable, l'empêchant de crever la pellicule d'eau ; plongée dans ses intimes ténèbres, Laheela méditait comme il lui arrivait parfois de le faire, au détour d'un de ses périples au travers du monde ninja. Figée et les yeux fermés, seule une longue natte de cheveux d'ébène flottait derrière elle pour tout mouvement indiquant qu'elle n'était pas statufiée, mais bien de chair et de sang. La clochette qui y était nouée à l'aide d'un petit ruban violacé tintait avec délicatesse sous les gifles venteuses, et la jeune femme s'accordait à ce son désormais familier. Loin de perturber sa concentration, il lui était d'une certaine aide, tout comme une berceuse peut aider un enfant à s'endormir.
*
Je le sentis venir avant de l'entendre. J'avais tant dispersé mon chakra autour de moi, formant une sorte de bulle stable et apaisée, que la moindre intrusion résonnait dans mon esprit à la manière d'un coup de tonnerre. Le tonnerre...
C'est avec une certaine grâce aérienne que je sautais en hauteur, relevant doucement les paupières pour observer le lac. Des tentacules aqueux s'étaient dressés dans mon dos avant de s'abattre dans un grondement puissant, manifestement assez épais pour m'engloutir sous des trombes si je n'avais pas réagi à temps. Mais où était mon invisible agresseur, qui venait ainsi rompre ma méditation ? C'était une mauvaise idée de m'interrompre dans des moments pareils. Pas seulement car la chose m'irritait - pour l'instant, j'étais au-dessus de cela. Plutôt parce que dans ces instants-là, mon contrôle de l'énergie qui circulait dans mon corps était au plus haut ; je n'étais jamais si précise, ni si mortelle, que lorsque je venais d'assouplir mon esprit.
Un peu comme quand on vient à peine d'affûter une épée...
D'énormes boules d'eau s'arrachèrent à l'étendue, venant s'agglutiner les unes aux autres alors que je retombais un peu plus loin, la semelle de mes sandales s'enfonçant à peine sur la surface pourtant agitée du lac. La réaction la plus attendue aurait été de fuir cet environnement manifestement à l'avantage de mon agresseur, qui demeurait dissimulé tout en lâchant ses attaques depuis sa cachette. J'en étais à me faire cette réflexion teintée d'ironie lorsque de véritables lances aqueuses s'échappèrent de la sphère formée par l'accumulation de toutes les autres, envahissant l'air d'une multitude de projectiles. Je m'accroupis pour plaquer mes paumes sur l'eau, murmurant d'une voix chantante :
- Suiton : Haran Bashou, la cascade protectrice...Un rugissement sourd s'échappa des profondeurs alors que le liquide était comme tiré, happé par une force invisible et se dressait tout autour de moi, formant un bouclier parfait qui se mit à tourner sur lui-même à grande vitesse. Je fermais les yeux afin de mieux ressentir mon chakra, percevant les piques adverses qui frappèrent ma protection sans pour autant les voir. Les deux techniques se rencontrèrent brutalement et se rejetèrent avec tout autant de violence, mais la cascade tint bon.
Je comptais chacune des lances qui venait ainsi tenter de m'atteindre, enregistrant chaque heurt avec méthode. Soixante-quinze.
Je ne savais pas quel était mon opposant, et même s'il semblait faire preuve d'un certain manque de finesse dans ses attaques... j'étais bien obligée d'avouer qu'il exécutait des assauts d'une puissance impressionnante. La taille des tentacules aqueux, le nombre des projectiles... tout ça dénotait soit une réserve de chakra bien plus imposante que la mienne, soit une volonté de tout donner dans l'instant pour m'abattre au plus vite.
J'avais pensé que ç'aurait pu être Kazei qui avait découvert que j'avais survécu à son attaque et qui venait finir le travail... mais ce genre d'attaque ne lui ressemblait pas. Cet homme, mon frère, était un assassin parfait. Je doutais qu'il eût développé ce genre d'agression, sans parler de leur grossièreté latente.
Je fis un geste vif de la main, comme si j'avais cherché à repousser une mouche, et la cascade se fendit en deux pour retomber de chaque côté en soulevant maintes éclaboussures.
- C'est dommage pour toi, lançai-je à la ronde.
Ta maîtrise de Suiton ne sera jamais assez subtile pour m'atteindre. En revanche, je sais comment te faire sortir de ta cachette. Je fermais le poing, rassemblant cette électricité qui passait dans mes veines aussi sûrement que mon sang. De discrets crépitements firent étinceler l'air autour de mes doigts et une atmosphère crissante se développa tout autour de mon corps, faisant flotter ma chevelure comme sous l'effet d'une brise surnaturelle.
- Raiton... Je n'eus pas le temps d'achever ma technique. L'eau devant moi se fendit en deux et un tourbillon de vent s'en échappa, me saisissant et me propulsant haut dans les airs. Je grimaçais sous le choc, d'invisibles lames écharpant mes épaules et mes hanches.
"Merde !" La douleur jaillit en même temps que mon sang qui gicla juste au moment où la poussée acérée disparaissait, me laissant retomber sur une bonne vingtaine de mètres. Je crevais la surface du lac sans plus aucune grâce, ainsi qu'un oiseau aux ailes brisées. L'eau referma ses bras obscurs sur moi alors que je m'enfonçais en son sein, abasourdie par la contre-attaque dont j'avais été la victime. Une certaine sérénité pleine de désillusion m'envahissait progressivement, au même rythme que celui dont je sombrais.
"Je ne sais pas qui tu es, mais c'était une belle réplique... Oui, une belle réplique..."Un grondement vorace me parvint, et je tournais la tête juste assez vite pour voir la gueule grande ouverte d'un énorme requin. Les crocs d'eau se refermèrent sur moi, traversant tout mon ventre d'un insupportable calvaire. Le sang envahit mon palais, l'emplissant de sa senteur âcre, et je dus le cracher pour ne pas m'étouffer.
Le squale invoqué ne se contenta pas de cette morsure unique, quoique puissante ; il remua un instant, me secouant comme si je n'étais qu'une poupée de chiffons, avant de nager à toute vitesse pour sauter en l'air comme un dauphin l'aurait fait. Il se dispersa en plein essor en une myriade de gouttelettes étincelantes au soleil, et je me retrouvais à flotter l'espace d'une seconde avant de chuter à nouveau. Mais cette fois-ci, des bras en chair et en os m'accueillirent pour m'empêcher de retourner à l'eau. Je levais un regard fatigué sur le visage de mon ennemi.
C'était un homme mûr d'environ trente-cinq ans, au visage buriné et rasé de près. Sa peau était hâlée, chose rare chez les utilisateurs de Suiton - mais je n'oubliais pas qu'il m'avait foudroyée avec une technique Fuuton, mettant à mal ma propre maîtrise de l'électricité. Peut-être que l'élément aqueux n'était même pas sa spécialité...
Je remarquais alors le bandeau de Kiri sur son front.
- Pourquoi...? chuchotai-je d'une voix égale.
- Bingo book de Kumo.
Il avait répondu d'une voix chaude, presque amicale.
- Je voulais dire... pourquoi m'avoir tenue si près de toi ?Je mobilisais toutes mes ressources pour mobilier mes ressources et d'un seul coup, ma natte de jais se détendit de la même façon qu'un serpent pour, s'allongeant à une vitesse inouïe, se nouer à la branche d'un arbre sur la rive. J'exécutais dans le même temps les signes nécessaires au clonages des ombres, invoquant deux de mes doubles qui saisirent chacune le shinobi aux bras, le forçant à me relâcher sous sa mine alarmée.
Je retombais en douceur sur la berge du lac redevenu calme, essuyant d'un revers de manche le sang qui dégouttait de mes lèvres.
C'était une bien mince revanche que je venais de prendre sur lui, et il se contentait pour l'instant de me foudroyer des yeux, la mine furieuse. Mais je m'apprêtais à transformer cette échappée en exécution.
- Tu vas comprendre pourquoi on m'a appelée l'Eclair azuré...Mon âme était en paix, toute disposée à mourir comme à tuer. Je sentais clairement les ténèbres de mon coeur, sans illusion ni mensonge ; une introspection qui me fit esquisser un sourire glacé. Je tendis lentement les deux mains vers celui que j'allais mettre à mort, et qui venait de se raidir devant mon geste. Les chakras circulaient à toute vitesse dans ma chair, s'effleurant, se reconnaissant, s'accordant sur le meurtre à venir...
- Suiton : Haran Bashou.La cascade protectrice se dressa avec le même rugissement de cataracte... mais autour du Kiri-jin.
- Raiton : Kangekiha ! criai-je en rejoignant lentement les mains.
La surface tournoyante de la sphère d'eau commença à scintiller, avant d'émettre le sifflement strident caractéristique de l'électricité. Des arcs dansants se mirent à la parcourir, transformant le courant en un flux survolté.
- Raiton. Mes blessures, ajoutées à une débauche aussi rapide d'énergie, avaient achevé de m'ôter mon souffle. J'étais pantelante, échevelée, maintenant mes paumes collées l'une à l'autre pour maintenir ma prison. Il me restait assez... juste assez...
- Schichuu... Schibari.Je concluais ma sentence à crispant un peu plus mes doigts, et deux paires de piliers vomis du ciel s'abattirent dans l'eau, soulevant de colossales giclées. Les pylônes vibrèrent en se chargeant d'un chakra aussi douloureux que mortel, et j'insufflais en eux tout ce qu'il m'en restait pour les nourrir encore davantage. Un battement de coeur plus tard, ils donnaient l'impression d'exploser en libérant un déluge d'éclairs tonitruants qui, attirés par ma précédente technique, se rejoignirent tous dans la cascade cernant le Kiri-jin. Je soufflais bruyamment, autorisant la fatigue à faire trembler mes épaules et mes genoux ; le choc désintégra littéralement le Suiton, carbonisant sans merci l'homme pris à l'intérieur. Une myriade de reflets chatoyants, portés par les bribes d'eau en vol, s'éparpilla au-dessus de l'étang limpide... comme autant de réminiscences des éclairs azurés qui s’étaient abattus il y avait un instant.
"Au moins", me dis-je en m'affalant dans l'herbe grasse, sans forces,
"j'en aurai appris un peu plus sur moi-même...".